II
Les enfants jouaient et couraient auprès de la piscine. Il y avait là les deux fils de Yahmose, deux solides gaillards qui ressemblaient plus à Satipy qu’à leur père, les trois enfants de Sobek, dont le dernier marchait à peine, et Teti, une jolie petite fille de quatre ans, au visage grave et sérieux. Ils riaient tous ensemble, criaient, se lançaient des balles et, de temps à autre, se chamaillaient avec des cris perçants.
Imhotep, buvant sa bière à petites gorgées, fit remarquer à Nofret, assise à ses côtés, que les enfants adoraient jouer au bord de l’eau.
— Il en a toujours été ainsi, ajouta-t-il. Mais, par Hathor, quel potin ils font !
— Oui ! s’empressa de dire Nofret. Alors que l’endroit pourrait être si paisible !… Pourquoi ne leur ordonnes-tu pas d’aller jouer ailleurs quand tu es là ? En somme, quand le Maître de la maison souhaite se détendre un peu, on doit respecter son repos. Ce n’est pas ton avis ?
— A vrai dire…
Imhotep hésitait. C’était là une chose à quoi il n’avait pas songé, mais l’idée ne lui déplaisait pas.
— A vrai dire, reprit-il sans conviction, ils ne me gênent pas. On les a toujours laissés jouer où ils voulaient.
— Quand tu es en voyage, c’est tout naturel ! Mais j’estime, Imhotep, étant donné tout ce que tu fais pour ta famille, qu’on devrait te témoigner plus de respect et faire de ta présence plus de cas. Tu es trop gentil, trop indulgent.
Imhotep sourit.
— C’est ma faiblesse depuis toujours ! Je n’ai jamais été très strict sur les marques extérieures de respect.
— Ce qui explique que ces femmes, les épouses de tes fils, abusent de ta gentillesse ! Il devrait être entendu que, lorsque tu viens ici pour te reposer, tu dois y trouver le calme et la tranquillité. Ne bouge pas ! Je vais aller dire à Kait d’emmener toute cette marmaille. Cela fait, tu auras la paix.
— Tu es pleine d’attentions, Nofret ! Tu es une bonne fille et je te remercie.
Nofret alla trouver Kait, qui, agenouillée au bord de l’eau, surveillait le second de ses enfants, un petit garçon, occupé à faire naviguer une barquette de bois.
— Kait, lui dit-elle avec courtoisie, voudrais-tu emmener les enfants ?
Kait ouvrit de grands yeux : elle ne comprenait pas.
— Les emmener ? demanda-t-elle. Que veux-tu dire ? Ils jouent toujours ici.
— Oui, mais aujourd’hui Imhotep désire le calme et ces enfants font du bruit !
Le visage de Kait s’empourpra.
— Tu pourrais t’exprimer autrement, Nofret ! Imhotep a plaisir à voir jouer ici les enfants de ses fils. C’est lui-même qui me l’a dit.
— Pas aujourd’hui ! répliqua Nofret. Il m’a envoyée spécialement auprès de toi pour te dire d’éloigner cette tapageuse engeance, afin qu’il puisse se reposer tranquillement… avec moi.
— Avec toi !
Kait allait riposter vertement, mais elle se contint. Se levant d’un bond, elle alla trouver Imhotep. Nofret la suivit.
Kait ne s’embarrassa pas de circonlocutions.
— Ta concubine me dit qu’il faut que j’emmène les enfants. Pourquoi ? Qu’est-ce qu’ils font de mal ?
— J’aurais pensé, dit doucement Nofret, que le seul désir du maître de la maison suffisait.
— C’est parfaitement exact ! déclara Imhotep avec impatience. Pourquoi me faudrait-il donner des raisons ? Chez qui sommes-nous, ici ?
Kait se tourna vers Nofret.
— J’imagine que c’est elle qui veut qu’on les éloigne.
— Nofret, reprit Imhotep, prend souci de mon bien être. Elle est, dans cette maison, la seule à y songer, avec peut-être la pauvre Henet.
— Alors, les enfants ne doivent plus jouer ici ?
— Pas quand je viens m’y reposer !
Kait, brusquement, donna libre cours à sa colère :
— Pourquoi laisses-tu cette femme te dresser contre ceux qui sont de ton propre sang ? Pourquoi lui permets-tu de se mêler de la façon dont est menée ta maison et d’interdire ici les choses qui se sont toujours faites ?
Imhotep, qui éprouvait le besoin de se justifier à ses propres yeux, se mit à crier, lui aussi.
— C’est moi qui décide ici de ce qui se fait et ne se fait pas, et non toi ! Vous vous êtes tous ligués pour en user selon votre bon plaisir et aucun d’entre vous ne s’inquiète de ce que peut désirer le maître de la maison ! Or, le maître, ici, c’est moi, permets-moi de te le dire ! Je ne cesse de travailler et de tirer des plans en vue de votre bonheur à tous. Est-ce qu’on m’en a quelque gratitude ? Est-ce qu’on s’interroge sur ce que je peux souhaiter, pour aller au-devant de mes vœux ? Non ! Tout à l’heure, c’est Sobek qui me manque de respect et, maintenant, c’est toi qui essaies de m’intimider ! Est-ce pour ça que je vous entretiens tous ? Méfiez-vous ! Tour ça aura une fin. Sobek parle de s’en aller ? Qu’il s’en aille, et toi et ses enfants avec lui !
Kait, un instant, demeura immobile et muette. Rien ne se lisait sur son visage. D’une voix dont toute aigreur avait disparu, elle dit enfin :
— Très bien ! Je vais faire rentrer les enfants.
Se retirant, elle s’arrêta auprès de Nofret pour ajouter, dans un murmure :
— Cela, Nofret, c’est toi qui l’as voulu. Je ne l’oublierai pas. Non, je ne l’oublierai pas…